Dans le management, une des grandes idées reçues consiste à croire que le privé est plus en avance en terme d’innovation et que le public devrait s’en inspirer. Or, votre dernière recherche (2) prouve le contraire…
Partons d’abord d’un chiffre unanimement reconnu par les chercheurs à l’échelle internationale. La conduite du changement se solde en moyenne par 60 % d’échec, notamment lorsqu’il s’agit de mener à bien de grands changements stratégiques impliquant de profondes transformations culturelles. Au terme d’une longue enquête, consacrée au décryptage de la littérature sur ce sujet, j’en conclus que l’approche participative et coercitive menée par l’Etat et les Régions dans les années 2000 présente des taux de réussite supérieurs à la moyenne internationale après 4 ans de mise en œuvre. Nous venons donc au fait que dans le management, le secteur privé n’a pas plus d’avance en terme d’innovation que le secteur public.
Comment expliquer ce bon résultat public ?
Il est lié à la prévalence d’épisodes participatifs échelonnés dans le temps et croisant harmonieusement les effets d’un cadre directif descendant, dit top-down, et ceux d’une philosophie participative, dénommée bottom-up. Le secteur public a visiblement mieux déjoué les pièges des modes directifs qui renforcent les résistances des agents ou des salariés dans le management. Ce qui ne veut pas dire que le cadre directif y est moins présent, mais il se distingue dans le public dans sa manière d’encourager le recours aux modes participatifs.
Pour qu’un changement réussisse, il faut savoir jouer sur la gamme diversifiée des épisodes participatifs, être capable d’identifier très vite la logique de la trajectoire impulsée pour relever le défi du changement. Il est difficile d’accepter le diktat du changement, parce qu’il perturbe la zone de confort. Il faut donc qu’il soit vécu intérieurement par tous comme une amélioration des conditions de travail dans le cadre d’une adaptation aux services publics ou à la concurrence.
Concrètement, comment en êtes-vous arrivée à un tel constat ?
Je suis partie de la philosophie de la loi dite LOADDT de 1999 (Ndlr, Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable des territoires), plus connue sous le vocable de Loi Voynet. Elle impliquait un changement de paradigme dans les stratégies des collectivités à l’époque. C’est à partir de cette loi que nous arriverons ensuite aux récentes lois Maptam et Notr qui ont bouleversé l’organisation territoriale de notre pays. La loi Voynet introduit ainsi la planification stratégique adossée à une vision durable du développement. Ce qui oblige les collectivités à travailler ensemble pour « penser » les actions, sur dix ans (signatures d’une charte). Les collectivités ne réfléchissent plus seules. Elles intègrent les non-élus : citoyens, associations, corps intermédiaires, etc., la société civile dans sa plus grande extension… C’est aussi le début de la culture évaluative, avec obligation tous les trois ans d’établir des bilans.
Quel territoire avez-vous privilégié ?
Mon étude a été menée au sein de l’ancienne Région Champagne-Ardenne. Le SGAR et la Région ont imposé un cadre méthodologique commun identique à tous les territoires. Cela a permis de comparer sur 8 années, la trajectoire de transformation de 10 territoires de projets (Pays) qui impliquaient de 4 à 16 communautés de communes et d’agglomérations. Sur les trois premières années, le taux d’échec est de 60 %, comme dans la moyenne internationale. Or, à partie de la 4e année, le chiffre change, pour passer à 60 % de réussite sur la plupart des territoires examinés.
Comment expliquez-vous cette réussite ?
Par les effets secondaires des épisodes participatifs. Ils ont permis d’établir des règles de décision (gouvernance) et de mettre les acteurs d’accord sur les problèmes à traiter ensemble… Le plus important est d’enclencher le processus de problématisation. En effet, arriver à dégager un vrai décloisonnement vers des politiques communes et approfondir ainsi in fine les projets. La loi Voynet aurait pu rester un simple document de gouvernance. La démarche participative en a fait un outil d’aménagement de projets concrets, identifiés tels quels sur le terrain.
Stéphane Menu
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Le conseil de l’interviewée « Je conseillerai aux entreprises de s’inspirer du cadre directif inspiré par le public. Le lâcher prise consiste à donner du pouvoir à l’autre. Dans le privé, ce n’est pas si simple. La prospective territoriale est un bon laboratoire parce que les effets sur dix ans sont palpables. Par ailleurs certaines entreprises privées sont mortes parce qu’elles n’ont pas su dégager du savoir-faire interne qui existait pourtant par défaut d’interrogation sur la manière d’envisager le futur et de se remettre en cause ». |
(1) Valery Michaux est chercheure au Département Stratégie et Entrepreneuriat du Neoma Business School.
(2) Michaux, V. (2018) « Stratégie territoriale : les impacts d’un cadre participatif « incitatif coercitif » », Revue d’Economie Régionale et Urbaine, January, no. 1, pp. 33-59.

