« Le public est en retard sur l’agilité numérique »

Dans la gestion des ressources humaines, quelle est la principale différence entre privé et public ?

La différence qui saute immédiatement aux yeux, c’est sans doute l’agilité interrelationnelle facilitée par la révolution numérique. Dans les grandes entreprises, l’agilité extrême côtoie des process managériaux plus classiques. Je pense à EDF par exemple. Mettre en place un boîtier domotique pour gérer la production énergétique à distance, cela ne se fait pas sur un claquement de doigts. Il faut casser le système préexistant. Il y a donc une superposition de strates décisionnelles où l’extrême agilité donne le ton sans pour autant remettre complètement en cause les systèmes anciens. Dans le public, je crois, nous n’en sommes pas encore là.

Est-ce lié au fait que le secteur public est plus dépendant de normes ?

Sans doute, oui. Mais le privé aussi, dans certains secteurs sensibles, fait face à des normes peut-être plus exigeantes. Le public serait-il plus avisé de réfléchir en termes d’envie plutôt que de moyens ? Mais l’envie ne se déploiera que si le contrat de confiance est clair. Comment faire confiance aux subordonnés ? Comment leur suggérer clairement qu’ils peuvent prendre des risques ? Pas simple. Il y a aussi la notion de mérite, qui reste très brumeuse. Dans le privé, un bon commercial est récompensé. Dans le public, un bon agent n’a pas le même type de reconnaissance, en tout, pas aussi immédiatement. Cette reconnaissance est diluée dans le fait que le travail rendu relève d’une mission de service public. Est-ce suffisant à motiver quelqu’un pour aller au boulot ?

C’est sans doute dans l’adaptation à la révolution numérique que le privé a pris de l’avance…

Oui, on le constate à chaque colloque. Le privé s’adapte pour ne pas mourir. Le service public peut-il mourir par défaut d’adaptation ? Pour l’heure, il n’en ressent pas la menace. Progresser, grandir quand on se sait intouchable, ce n’est pas une mince affaire. Enfin, à l’instar du schéma de reproduction sociale cher à Pierre Bourdieu, les écoles de formation des cadres de la fonction publique n’impulsent pas, c’est le moins que l’on puisse dire, un souffle révolutionnaire en termes de RH. C’est à l’échelle des collectivités, souvent petites d’ailleurs, que les adaptations se font pour que le service rendu à la population soit meilleur.

 

Interview de Stéphane Menu

Télétravail : Un phénomène qui ferait pschitt ?

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Le blog de Jean-Baptiste Audrerie, Futurs talents, du digital au cognitif, est en passe de devenir l’un des plus prisés pour ceux qui suivent de près les problématiques liées à la gestion des ressources humaines.

L’ANDRH vient d’ailleurs de lui décerner le prix de la souris d’or 2017, la troisième récompense du blog en quatre ans d’existence seulement. Dans un récent article sur le télétravail, l’auteur émet de sérieux doutes sur la pertinence du télétravail. « Le télétravail est le futur du travail mais », écrit-il. « Des entreprises comme Yahoo en 2014 ou IBM à la fin 2016 ont émis de nouvelles politiques pour ramener leurs employés au bureau (…). Facebook, l’une des entreprises les plus cool au monde, incite financièrement ses employés à emménager près de ses bureaux pour s’y présenter au lieu de rester chez soi [en créant] des espaces collaboratifs, confortables et agréables car elles veulent donner envie aux employés d’y passer plus de temps de qualité ». Les raisons d’une telle régression dans le privé, le public n’en étant encore qu’aux balbutiements ? Si « la démarche a démontré que le télétravail est bénéfique pour la productivité individuelle », il aussi « une distance de plus » et induirait « un manque d’engagement des employés ». Le constat de « managers [qui] ne sont tout simplement pas en ligne » est récurrent. Doit-on en déduire que l’hirondelle du télétravail ne fera pas le printemps de l’avenir des organisations professionnelles ?

Stéphane Menu

Après la mutualisation, le temps de la cohésion

Le mouvement de mutualisation, qui a suivi la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (Maptam) de 2014, est aujourd’hui digéré au sein de nombreuses collectivités. Il n’en a pas moins changé le rôle des managers et le regard des « managés » sur leur environnement professionnel. Si les effets escomptés en termes de rationalisation des coûts financiers et de cohérence territoriale sont majoritairement au rendez-vous, les conséquences post-mutualisation sur les personnels continuent d’être mesurées, évaluées, amendées.

Accompagner dans le temps

« Il y a un temps à prendre avant, mais aussi après la mutualisation, souligne Nadège Baptista, DGS de Châteauroux Métropole, qui a conduit en 2015 un vaste mouvement de transfert d’agents. Ce qui est sûr, c’est que l’on ne va pas revenir à une organisation à deux têtes, avec des doublons. Il n’y a pas de désir de réversibilité. »

Outre un nouveau projet d’administration initié avec les cadres de la collectivité dès 2016, la directrice générale des services a organisé début 2017 un forum avec les 1200 agents de la nouvelle entité. Une occasion rare d’échanger et de mesurer la qualité de vie au travail dans ce nouvel environnement humain et organisationnel. L’expérience a été plébiscitée par les agents, même si tous n’avaient pas vu dans la mutualisation l’occasion de donner un nouvel essor à leur carrière.

Prendre en compte l’effet générationnel

A une autre échelle, la communauté d’agglomération Paris-Saclay, forte de 570 agents répartis sur 45 sites, a engagé un dispositif RH à plusieurs niveaux, dans un contexte post-fusion, afin d’offrir davantage de sens et de perspectives aux agents intercommunaux.

Articulées autour de la direction générale, du DG, du manager et du collectif de travail, les actions menées ont tout d’abord porté, dès décembre 2016, sur le schéma directeur des ressources humaines, basé sur un management participatif et le dialogue social. « Nous voulons à présent passer à une étape supérieure au moyen d’une palette d’outils RH classés en fonction de quatre dimensions : être, communiquer, faire et construire, dévoile Stéphane Hauguel, DRH de Paris-Saclay. L’enjeu est de co-construire notre vivre ensemble mais aussi de renforcer le rôle du collectif de travail sous l’impulsion de la DG et de mieux prendre en compte l’effet générationnel dans nos pratiques managériales. »

Dans cette quête de transparence et de partage d’information avec les agents, le DRH propose aussi de rendre le futur projet accessible en temps réel sur l’intranet. « La concertation numérique vient s’ajouter au dialogue social », affirme Stéphane Hauguel, citant en exemple la mise en place du nouvel entretien professionnel, qui repose sur les quatre dimensions nouvellement définies.

Emmanuelle Quémard

Les algorithmes feront-ils le recrutement ?

Brève : Les algorithmes feront-ils le recrutement ? Les étudiants du CELSA ont leur blog. A lire sur Etoile Mag Actualités - Et, sous la plume de Natalia Gimenes de Araujo, ils s’interrogent sur le recrutement prédictif : « Les jours des recruteurs seraient-ils comptés ? ».

« Cela fait quelques années que l’on entend des discussions à propos de l’avenir du recrutement. On voit déjà une révolution qui s’opère avec LinkedIn et d’autres plateformes en ligne, mais des rumeurs circulent aussi autour de l’invasion des algorithmes. L’intelligence artificielle représenterait-elle une menace au métier de recruteur ? ».

A l’heure des big data, le profil des candidats serait-il d’ores et déjà scellé par les algorithmes et non plus par le contact humain du traditionnel entretien d’embauche ? Pour l’entreprise, le fait de confier une grosse partie du travail de présélection au moulinage opéré par les algorithmes permettrait de gagner 60 % du temps de recherche et diminuerait de 40 % le nombre de candidats reçus en entretien. In fine, la partie financière consacrée au recrutement reculerait. On peut cependant s’inquiéter de voir le sort de certains d’entre nous bouclé par de simples équations mathématiques, si performantes soient-elles. Portera-t-on comme des boulets tout au long de notre carrière des choix de vie entre parenthèses que l’ordinateur aurait négativement analysé ?

Vue sous cet angle, l’intelligence artificielle exhale une odeur de soufre.

Stéphane Menu

Le syndrome Poutine

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On entend depuis quelques temps chez certains élus locaux de tout bord, une petite musique qui consiste – dans la gouvernance de leur collectivité – à privilégier le profil  d’un dircab à celui d’ un DGS, au nom de la fameuse proximité entre la décision politique et la mise en œuvre administrative .

S’il ne faut pas être naïf, comme l’indique dans la Gazette des communes Patrice Girot, président Ile-de-France du Syndicat national du Syndicat des DGS en ces termes « je conseille aux DGS qui disent qu’ils ne sont pas politiques… de changer de métier. »  …Toute  solution qui consiste à concentrer le pouvoir sur une  seule personne ressemble à une vision très personnelle de cette intelligence collective  dont on parle tant !

En d’autres termes , avec ce type de gouvernance, le changement, c’est pas pour maintenant ! Comme le disait Bertrand Russel « L’ennui  dans ce monde  c’est que les idiots sont sûrs d’eux et les gens sensés pleins de doutes ». La vraie  question n’est-elle pas la suivante :  » Que risque de devenir une administration, sensée travailler sur le temps long, c’est à dire bien au-delà du mandat de son édile, si elle devient, pilotée par le cabinet (et donc le politique), un simple outil destiné à assurer une réélection ?  »

Une question qui est posée à l’ensemble des acteurs publics locaux  !

Hugues Perinel

A Garges-lès-Gonesse, les directeurs de service changent de poste !

A l’instar d’une célèbre enseigne parisienne, on trouve de tout dans la fonction publique territoriale. Des techniciens, des informaticiens, des spécialistes en sport, en communication, en route, etc.

En fin manager, le maire de la commune, Maurice Lefèvre, a donné son feu vert à une initiative originale visant à renforcer l’esprit d’équipe de « ses » agents : « Change ton poste ». « Tout au long de l’année, des directeurs ou des chefs de service se remplacent les uns les autres pendant une semaine. C’est le meilleur moyen de voir ce qui se passe chez le collègue et de casser la routine », assure-t-il. Une démarche doublement bénéfique : « Quand il revient à son poste, le directeur a une vision plus large du fonctionnement de la collectivité. Par ailleurs, quand nous lançons des recrutements internes, cette fréquentation des autres services a changé le regard de certains ». La collectivité trouve donc plus facilement des solutions « maison » plutôt que d’attendre que le salut vienne de l’extérieur. Plus efficace encore qu’un séminaire de cadres !

Stéphane Menu

Métiers de soins : quand la cadence tue le sens !

Billet : Métiers de soins : quand la cadence tue le sens ! A lire sur Etoile Mag Actualités - Mercredi 20 décembre, il est Noël moins cinq mais Claudine, aide soignante en EHPAD, raconte au micro d’Europe 1 que, pour la première fois, elle a dû s’arrêter quinze jours parce qu’elle était « à bout de souffle »…

Sans que cela n’ait rien pour la réconforter, rappelons que Claudine n’est pas seule à perdre ainsi haleine… Avec un taux d’absentéisme de 10 % et des accidents du travail deux fois supérieurs à ceux rencontrée dans le BTP*, les établissements d’accueil des personnes âgées dépendantes font partie de ces secteurs jamais aussi bien dits en tension que quand leurs agents craquent.

Certes, pénurie de personnels et intensification des exigences font du quotidien un sprint permanent qui laisse forcément suffoquant. Quand les services sont en peine de bras, ceux qui les rendent se retrouvent forcément en peine d’air. Mais à coups de vision de plus en plus gestionnaire, on a surtout fini par brouiller celle, lumineuse, des métiers de soins, les raisons mêmes – intrinsèques – de cet engagement formidable qui les portent. Et, tandis que l’asphyxie des moyens étouffe à petit feu l’aspiration de chacun, on laisse tout bonnement ainsi le sens expirer sous la cadence.

Or, faut-il le redire : à ce triste jeu, les plus vulnérables sont les plus impliqués dans l’exercice de leur métier, devenus incapables de reconnaître ce qu’ils sont dans ce qu’ils font. Mais, après tout, il est vrai que ce sont toujours les meilleurs qui partent en premier…

 

Laurence Denès

* Selon la mission d’enquête parlementaire flash menée sur le manque d’effectifs dans les EHPAD

http://www2.assemblee-nationale.fr/static/15/commissions/CAffSoc/Mission_flash_EHPAD_communication_rapporteure_20170913.pdf

 

 

« Nous visons 25 % du financement bancaire des collectivités locales »

Brossez-nous le portrait de l’AFL ?

Nous avons commencé à financer les collectivités territoriales au printemps 2015 après l’agrément de l’ACPR (Ndlr, Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, organe de supervision français de la banque et de l’assurance) et l’octroi d’une note par Moody’s (Ndlr, Aa3, un cran en dessous de l’Etat français). Si le modèle de l’Agence en fait une banque à part, elle est soumise aux mêmes règles que n’importe quel établissement de crédit (Bâle III). Nous détenons aujourd’hui 4 % de part de marché sur la production annuelle de crédit aux collectivités. Nous finançons tous les types de collectivités : une région (Pays de la Loire), 7 départements (dont la Seine-Saint-Denis et la Saône-et-Loire qui viennent d’adhérer), 2 collectivités ultramarines (Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon), une dizaine de métropoles (de Lille à Marseille et de Brest à Strasbourg), sans oublier de nombreuses communautés urbaines et communautés d’agglomération et des communes et communautés de communes rurales. La commune membre la moins peuplée compte 57 habitants. Nous sommes présents dans 68 départements et recensons 223 collectivités actionnaires.

Les collectivités doivent faire un apport en capital pour bénéficier de prêts. Pourquoi ?

C’est une règle bancaire de base. Pour prêter, le Groupe doit disposer de fonds propres. Pour adhérer, une collectivité doit adhérer à hauteur de 0,8 % de son stock de dettes ou de 0,25 % de ses recettes réelles de fonctionnement si elle est peu endettée. Chacune participe à la constitution du capital de la maison-mère pour qu’ensuite sa filiale, l’AFL, puisse lever des fonds sur les marchés obligataires et transformer ceux-ci en prêts simples pour les collectivités membres. En cela nous fonctionnons sur un modèle coopératif voire « comme une centrale d’achat ». A titre d’exemple, l’apport en capital pour le département de la Seine-Saint-Denis est proche de 10 M€ alors que pour les plus petites communes, celui-ci sera de l’ordre de quelques centaines ou de quelques milliers d’euros… Cet apport en capital constitue une dépense d’investissement et son paiement peut être étalé sur 5 ans au maximum.

Quels sont vos objectifs de développement ?

Les objectifs sont simples : permettre à toutes les collectivités qui le souhaitent de bénéficier des services de l’AFL. A la création du Groupe, les membres fondateurs s’étaient assigné l’objectif de représenter à terme 25 % du financement bancaire des collectivités locales. L’activité opérationnelle de l’AFL a débuté au printemps 2015 et après trois années d’activité, nous représentons déjà 4 % « de ce marché », c’est à dire plus de 500 millions d’euros de prêts par an. L’idée est donc d’amplifier en 2018 notre progression, si possible au même rythme que 2017 (50 collectivités sont devenues actionnaires) et de faire connaître le Groupe AFL notamment dans les départements où nous sommes absents. Par ailleurs, comme le Groupe AFL n’a qu’une seule mission, c’est le gage pour les collectivités membres d’avoir un outil bancaire dédié, en permanence à leur service et ayant pour unique objectif de les financer dans les meilleures conditions. En recourant aux services de l’AFL, une collectivité actionnaire sécurise son accès à l’emprunt, elle valorise également sa santé financière et se créée les conditions d’une mise en concurrence beaucoup plus importante.

Stéphane Menu

« L’entreprise cerveau » : Les dégâts du court terme

Outre qu’il s’agit d’un univers professionnel que j’ai pratiqué, je me demande si les mêmes symptômes ne se retrouvent pas aujourd’hui dans le monde public local, ou le court terme étouffe le long court, ou de nombreux cadres , « soumis à une pression constante ont naturellement tendance à préserver leur espace vital , dans un réflexe quasi animal de survie ». Je découvre en effet au cours des coachings que je réalise à quel point chacun se surprotège, contribuant ainsi à la disparition du dialogue et de toute forme d’intelligence collective.

Peut-être faudrait-il introduire d’autres critères d’évaluation de la performance, qui « intègrent mieux les éléments constitutifs de la valeur réelle d’une organisation : l’humain, la modernité, la capacité à innover, et les connexions ».

Un livre à lire, que vous soyez dans le public, ou le privé.

Hugues Perinel

Livre « L’entreprise cerveau » de Dominique Mockly.

Editions Débats Publics : 26/11/2015.

Dim. 14 x 21 cm. 191 pages.

Managers : fierté n’est pas vanité!

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Dans un murmure contrastant avec la liesse ambiante, l’esclave placé derrière le général romain victorieux était là pour rappeler au héros du jour que le temps fane jusqu’à devenir poussière les plus belles couronnes de laurier. Un sacré rappel à l’humilité – qui plus est assené par le serviteur assujetti. À voir certains managers, gonflés de leur importance, on en vient à regretter ces époques antiques. Trop d’entre eux, en effet, confondent visiblement vanité et fierté, au grand dam de leurs équipes.

La différence ? Elle a fort brillamment été cernée par le Comte Raczynski, homme d’État polonais : la première n’est que volonté de paraître, quand la seconde consiste tout bonnement à savoir ce que l’on vaut…

Une émotion universelle tout ce qu’il y a de plus bénéfique, et que le « vrai leader » aura justement à cœur de susciter aussi chez ses collaborateurs, en donnant du sens au travail et de la reconnaissance à celui qui l’accomplit. Car « si rien de grand ne s’est fait sans passion » comme le soutient Hegel, que pourrait-il se réaliser sans la fierté de se sentir utile et identifié pour son individualité, dans ce que l’on produit. Un peu comme si chaque jour, dans le fracas du quotidien, le manager chuchotait avec bienveillance, à l’oreille de son collaborateur, cette évidence trop fréquemment piétinée : « tu es un Homme, tu es un Homme… ».

Laurence Denès