Vous venez de récompenser 10 entreprises pour leur attitude exemplaire en matière de diversité dans leur recrutement. Pourquoi une telle initiative ?
Notre manifestation, le « Top 10 des recruteurs de la diversité », met en effet en valeur les entreprises engagées dans une démarche de diversification de leur recrutement. Nous avons distingué trois groupes d’entreprises : les grandes entreprises, le groupe des TPE-PME et start-ups et enfin les entreprises de l’économie sociale et solidaire ainsi que les fondations. Elles sont exemplaires parce qu’elles rappellent une évidence, rabâchée dans tous les rapports : la diversité sociale est une chance pour la croissance économique d’un pays. Dans ce domaine, nous faisons le constat que le privé évolue plus vite que le public en matière de discriminations raciales. Notre priorité est donc aujourd’hui de convaincre le public.
En 2016, l’économiste Yannick L’Horty (1) a publié un rapport qui éclaire en effet crûment le retard du secteur public dans ce domaine…
Oui, il est même étonnant que toutes les administrations centrales ne soient pas labellisées charte de la diversité. L’Etat ne donne donc pas l’exemple. Le discours que nous entendons est celui d’une fonction publique qui recrute des bas niveaux de qualification qui ne pourraient pas exercer dans le privé. Les services RH de ces organismes se satisfont-ils de ce minimum ? C’est possible… Certaines entreprises publiques évoluent plus vite. En 2016, nous avons réussi à faire entrer 50 jeunes à Radio France. Nous travaillons facilement avec certains ministères, notamment ceux labellisés diversité. Les relais sont plus difficiles à trouver dans la Fonction publique territoriale. Le Grand Lyon, labellisé diversité, est réceptif à notre discours. Mais nous devons aller plus loin et l’une de nos priorités de 2018 consistera justement à mieux se faire connaître auprès de la Fonction publique territoriale.
Comment avez-vous eu l’idée de créer Mozaïk Rh ?
En janvier 2008, nous étions un certain nombre d’acteurs de la société civile à vouloir traiter des discriminations à l’emploi. Il s’agissait de créer un cabinet de recrutement pour révéler aux acteurs économiques la présence de talents issus des quartiers prioritaires. Nous sommes partis sans le moindre soutien parce que nous ne voulions pas bénéficier de financements publics, aide qui, généralement, limite quelque peu la créativité. Je viens pourtant de la fonction publique d’Etat, plus précisément du service de la formation continue au rectorat de Paris. Au début, je n’avais ni réseau ni argent pour financer la démarche. Nous sommes dans un engagement de valeurs. Nous avons volontairement conservé notre statut associatif. Beaucoup de personnes nous poussent à basculer sur un statut privé. Mais, avec les 35 salariés que comptent désormais Mozaïk -et oui, nous avons aussi créé de l’emploi-, nous souhaitons rester en l’état.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
En 2016, 4 000 jeunes ont pu signer un contrat grâce à nous. Nous avons travaillé avec une boite sur deux du Cac 40. Les discriminations raciales ne vont pas pour autant disparaître du jour au lendemain mais on peut espérer qu’une prise de conscience a eu lieu. Les entreprises qui nous font confiance ont compris qu’elles devaient changer de regard. J’avais écrit un livre avec Vincent Edin sur ce thème en 2012, « Chronique de la discrimination ordinaire ». Le maintien d’un système discriminatoire coûte 10 000 euros par personne en France chaque année. France Stratégie vient de révéler que les discriminations, au sens large, font perdre chaque année 6 points de Pib au pays, soit 150 milliards d’euros. La révolution est en marche.
(1) Yannick L’Horty, professeur à l’Université Paris-Est Marne-La-Vallée, a remis au Premier ministre le rapport de la mission qu’il a dirigée sur « Les discriminations dans l’accès à l’emploi public ». A ses yeux, le concours n’assurerait pas sa fonction de neutralité face à l’emploi dans la fonction publique ; il souligne le fait que les employeurs publics seraient « victimes » de « stéréotypes » dans leur recrutement.
Interview par Stéphane Menu

