« Souhaite-t-on vraiment développer les carrières mixtes ? (privé et public) » – Claire Pascal, directrice générale de Comundi

Pouvez-vous nous faire un point précis sur le droit des agents publics à la formation au regard des dernières évolutions législatives ?

Globalement, les agents publics bénéficient d’un accès à la formation plus large que les salariés du secteur privé. Néanmoins, cette réalité cache de fortes disparités en fonction des agents, des fonctions publiques et des établissements. De nombreuses formations sont obligatoires et certains agents ont un accès très faible voire inexistant à la formation continue. Depuis des années, le système de la formation professionnelle en secteur public suit à distance celui mis en place dans le secteur privé.

Ainsi le DIF (Ndlr, Droit individuel à la formation), mis en place pour le secteur privé dans la loi du 4 mai 2014 et qui a institué le premier droit individuel à la formation, a été transposé au secteur public dans une loi de 2007 suivie des décrets d’application en 2007 et 2008 ; avec un impact réel pour le secteur mais avec des modalités un peu différentes. Il a fallu attendre plus de 3 ans, avec des grosses difficultés d’application pour les structures employant des fonctionnaires et des salariés relevant du secteur privé, pour gérer la coexistence de deux systèmes différents.

Le CPF (Ndlr, Compte personnel de formation), qui a été instauré en remplacement du DIF en 2014 pour le secteur privé, n’a été transposé au secteur public qu’en 2017, sans cette fois que des financements y soient réellement rattachés, mais comme composante du CPA (Ndlr, Compte personnel d’activité). Ni les DRH publics, ni les agents n’y ont vu une avancée majeure. Alors que des besoins spécifiques sont réels pour le secteur public, notamment du fait de l’évolution rapide dans ce secteur et du fait des sujets de reclassement, la réglementation en place peine à suivre de manière différée ce qui est proposé dans le secteur privé.

Le gouvernement entend provoquer un véritable « big-bang » dans le secteur de la formation professionnelle. Intègre-t-il dans son raisonnement la fonction publique ?

La loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel qui est actuellement débattue au Sénat ne comporte aucun volet pour le secteur public sauf un titre III qui vise à développer la mobilité entre le secteur public et le secteur privé. Ces dispositions font par ailleurs débat mais n’ont pas inclus la possibilité d’un portage du nouveau CPF entre secteur privé et secteur public. Il semblerait que la mise en place d’un CPF rénové tel qu’il est pensé dans le texte de loi en débat sera intégrée dans un véhicule législatif distinct, dédié au secteur public et qui sera présenté en 2019. Reste à savoir comment ce CPF sera financé si on veut en faire un véritable outil de mobilité professionnelle.

La mobilité professionnelle, qui est une nécessité sociale aujourd’hui, est-elle favorisée dans un tel contexte ?

Aujourd’hui, on constate une très faible mobilité au sein des fonctions publiques pour des raisons statutaires et surtout financières. L’absence d’un outil de développement de compétences qui pourrait faciliter ces mobilités est clairement une carence du système. Mais le débat est ailleurs : souhaite-t-on vraiment favoriser les carrières qui panachent les expériences privées et publiques ? Ne sont-elles pas réservées aux plus hauts postes de la fonction publique et absolument pas prévues ni même souhaitées pour les autres agents publics ? N’y a-t-il pas une crainte d’une fragilisation du statut de la fonction publique en ouvrant plus largement les carrières mixtes ?

Il est clair aujourd’hui que l’emploi public doit être revisité à l’aune de deux éléments majeurs : tout d’abord celui de l’évolution rapide des métiers et de l’obsolescence accélérée des compétences des agents du fait notamment des évolutions technologiques et d’autres part, de la réduction de l’emploi public (de nouvelles suppressions de postes sont d’ores et déjà annoncées dans la droite ligne de ce qui a été fait depuis une dizaine d’années ), ce qui renforce la logique de territoire et de bassin d’emploi.

Comment Comundi s’adapte-t-il à cette réalité ?

Comundi, à travers ses marques qui interviennent sur le secteur public dont Weka, MB Formation et MB Carrière, est l’un des partenaires compétence des agents du secteur public. Nous développons des modules de formation tant métiers que transversaux. Nous considérons que trois phénomènes sont aujourd’hui structurants pour accompagner la montée en compétences des personnels de la fonction publique.

Tout d’abord, la nécessité de proposer des dispositifs plus souples et plus courts, aujourd’hui largement réalisés en blended learning (mixant distanciel et présentiel) afin de répondre à la baisse de temps disponible que chaque agent est capable d’investir dans sa formation.

Deuxième axe important, l’ancrage pédagogique se fait de plus en plus grâce à des méthodes de mutualisation ou de confrontation positive des pratiques, de sorte qu’une partie de l’expertise est construite de manière collective et collaborative. Cette évolution importante nous a amené à revoir les formats pédagogiques en intégrant des modalités de co-développement ou des modalités immersives de plus en plus prisées par les acteurs du secteur public comme privé. Enfin, il apparait que l’obsolescence accélérée des compétences techniques et l’évolution rapide des métiers, amène à renforcer non plus l’acquisition de compétences techniques vite dépassées, mais le socle de compétences transversales qui facilite l’adaptation et la capacité à se former en continu aux nouvelles compétences métiers qui ne cessent de se renouveler.

 

Stéphane Menu

Le conseil de l’interviewée

« Vers des carrières multiformes »

Pour rester sur un territoire donné, les agents devront accepter et développer des carrières multiformes avec différents types d’emplois publics voire privés. La mobilité est donc un sujet majeur mais on peut considérer qu’elle ne se décrète pas et que la plupart des obstacles qui la freinent aujourd’hui ne sont pas encore levés. Dont l’absence de portabilité du CPF.

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