A l’annonce de la réflexion autour de la réforme de la fonction publique, vous avez déclaré : « Nous sommes très loin d’une réforme décisive ». Ce n’est pas ce que pensent les syndicats…
Je peux parfaitement entendre l’expression du mécontentement de fond des syndicats. Depuis Nicolas Sarkozy, leurs conditions de travail se sont dégradées et François Hollande est resté sur le même tempo. On l’a vu avec la colère dans les Ehpad ou encore les prisons ; on le verra certainement encore dans les hôpitaux. Le malaise est là et les pouvoirs publics n’y apportent pas vraiment de réponse. Le rendez-vous du 22 mars avec la grève des fonctionnaires sera un bon indicateur de ce malaise. Je dis tout simplement que si le big-bang consiste à favoriser le départ volontaire des fonctionnaires et à recourir plus encore aux contractuels, le terme est inapproprié.
Pour autant, les trois versants de la fonction publique –Etat, territoriale et hospitalière- ont été impactés par les réformes ces dernières années…
Oui c’est un chantier permanent. Et les fonctionnaires ressentent certainement en interne que l’institution ‘fonction publique’ est en déclin. C’est lié au fait que la fonction publique en France, contrairement à d’autres pays, est consubstantiellement liée à une philosophie politique, le solidarisme de Léon Bourgeois, le positivisme ou encore la laïcité. En France, la fonction publique est un rempart contre la marchandisation de l’économie. Ailleurs, ce n’est pas le cas : le fonctionnaire remplit une fonction économique comme un salarié du privé. Et comme l’Europe ne reconnaît pas la fonction publique à la Française, trop protectrice d’intérêts économiques qui devraient être plus ouverts à la logique de marché qui forme l’Adn européen, il y a une crispation autour du modèle philosophique de la fonction publique.
Quelle serait la décision qui serait « décisive » à vos yeux ?
Incontestablement, la suppression des grands corps de l’Etat, de toutes les grandes écoles, la matrice symbolique de toute la hiérarchie de la fonction publique. Le macronisme d’origine était très attaché à cette notion de fluidification des carrières, de méritocratie. Cette évolution permettrait en effet de sortir d’une logique verticale autoritaire pour une fonction publique plus diverse dans son encadrement.
Stéphane Menu
Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au CEVIPOF depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987. Ses recherches portent principalement sur les transformations du secteur public en Europe et plus particulièrement sur les mutations de la fonction publique et la réforme de l’État.

