Quels ont été les thèmes centraux abordés lors de votre dernier congrès à Paris ?
Les chambres régionales des comptes publient beaucoup de rapports mais leurs magistrats s’expriment rarement sur les moyens d’améliorer l’efficacité et l’utilité de leur métier. A travers notre syndicat, l’ensemble des magistrats a conduit depuis deux ans un gros travail de réflexion dont notre Congrès a été l’aboutissement. Nous partons d’un constat unanime : le bon emploi des deniers publics et sa transparence sont incontournables dans un contexte budgétaire contraint. Or, les autres contrôles d’Etat ont quasiment disparu du fait d’économies budgétaires ou restructurations qui ont prioritairement concerné le contrôle dans les territoires : préfectures, trésoreries, conseils etc.
Les collectivités locales, et notamment les petites et moyennes, ont pourtant besoin d’un accompagnement pour mieux gérer leurs finances qui deviennent de plus en plus contraintes. Elles ont également besoin d’appliquer une réglementation dont la complexité n’a pas été réduite par les politiques successives de simplification administrative. Beaucoup n’ont pas les moyens de missionner des cabinets d’audit dont la connaissance de la gestion publique locale est parfois très variable.
Lors de nos contrôles, nous constatons souvent que nous sommes le dernier rempart, le dernier interlocuteur pour faire corriger une irrégularité, rattraper une gestion hasardeuse ou tout simplement accompagner les élus locaux dans leurs décisions. Notre message est clair : nous souhaitons renforcer et moderniser le niveau local de contrôle du bon emploi de l’argent public, indispensable dans une République décentralisée. Nous pensons que cela va dans le sens de l’histoire. Le Gouvernement a d’ailleurs récemment annoncé qu’il souhaite poursuivre la suppression des contrôles a priori qui pèsent sur l’action publique, pour accroître sa réactivité, et y substituer des contrôles a posteriori.
La Cour des Comptes publie pourtant chaque année un rapport sur les finances publiques locales. Elle ne comprend pas ces enjeux ?
La Cour des Comptes les perçoit mais adopte une approche très globale. Elle dresse un tableau général, « moyennisé » de la situation financière des collectivités locales et de certaines de leurs politiques. Cet exercice est indispensable au pilotage et à la transparence des finances publiques françaises au sens large mais ne consiste pas à développer une approche différenciée, adaptée aux échelles des territoires. Or, les enjeux des politiques et des services publics sont différents dans une station balnéaire basque, une commune de montagne, un bourg rural de Lozère et une ville défavorisée de la banlieue lilloise. Il est parfois difficile de cerner ces spécificités et leurs contraintes depuis Paris.
La Cour des comptes mobilise 30 à 40% des forces productives des chambres régionales pour contribuer à ses propres travaux, au demeurant selon des processus assez opaques, peu concertés et finalement peu efficients. Autant de moyens qui manquent à nos propres missions programmées après une analyse circonstanciée des enjeux et des risques locaux et adaptés aux réalités des collectivités. Nous avons certes su absorber, à moyens constants depuis 1983, la professionnalisation de la gestion publique locale et les nouvelles missions confiées par le législateur, mais un tel prélèvement de ressources compromet notre capacité à couvrir le territoire et à réagir avec efficience aux risques locaux.
Vous avez publié un Livre beige des Chambres régionales des comptes qui formule 5 propositions pour le citoyen et la performance publique. Quel en est son principe essentiel ?
La décentralisation est mature, nous devons en tirer les conséquences. La gestion publique locale poursuit deux objectifs : la performance, pour fournir au meilleur coût un service public répondant aux besoins des usagers, et la transparence dès lors que les élus locaux sont politiquement responsables devant les citoyens et contribuables. A défaut, la confiance dans les responsables publics s’érode et la démocratie chancelle. Nos propositions visent à renforcer l’effectivité de nos contrôles et à les ajuster à une configuration des territoires qui a beaucoup évolué.
Nous voulons réformer un système de responsabilité insatisfaisant qui se concentre sur le comptable public et préserve les décideurs qui ne sont pas responsables devant la Cour de discipline budgétaire et financière à raison des fautes de gestion graves ou répétées qu’ils commettent.
A défaut, la répression pénale prend le relais, parfois de façon disproportionnée et engorge les procureurs de la République et les services d’enquête. Les poursuites pénales engagées à l’initiative des chambres régionales ont ainsi doublées en dix ans. Non parce que les décideurs locaux sont moins honnêtes mais parce qu’il n’existe pas de voie intermédiaire, de responsabilité administrative permettant de rétablir la régularité administrative de façon mesurée et constructive.
Stéphane Menu

