« Sur les discriminations, la prise de conscience évolue très vite »

Les collectivités sont-elles de plus en plus confrontées à des contentieux liés aux pratiques discriminatoires ?

Les sanctions en matière de pratiques discriminatoires peuvent être multiples : sanction disciplinaire contre un agent ; poursuites au pénal ; recours en annulation contre une mesure douteuse… Et pourtant, il est rare que de tels litiges surgissent. C’est souvent, indirectement, que les questions des discriminations apparaissent. Via un litige sur du harcèlement, au détour d’un litige sur des injures ou des diffamations, à l’occasion d’une demande indemnitaire faite au nom d’une « placardisation »…. Cela dit, si le nombre de ces contentieux décolle peu, la parole, elle, se libère.

Longtemps, les contentieux ont en ce domaine été bloqués par une difficulté majeure : il est très difficile de prouver une discrimination. Et inverser la charge de la preuve serait infernal car, dans ce cas, il est au moins aussi délicat de prouver une absence de discrimination. Les juridictions ont trouvé une parade : celui qui prétend être victime d’une discrimination, et il y en a de plus en plus de divers types, doit non pas prouver celle-ci, mais à tout le moins apporter des éléments permettant de présumer l’existence de celle-ci. A charge pour la défense alors de défendre, en avançant un début d’éléments.

Comment font-elles face aux contentieux ?

Si la collectivité est frontalement attaquée pour ses pratiques, la gestion fine du contentieux et, plus encore, du pré contentieux est déterminante, au regard de la pression médiatique qui peut en pareil cas se déchaîner… et ce bien plus vite que le temps qu’il faut pour les acteurs locaux de maîtriser leurs émotions face à de pareilles attaques infâmantes. Mais la plupart des litiges naissent entre un supérieur hiérarchique intermédiaire et un de ses subordonnés. Et des tensions protéiformes finissent par prendre la forme, fictive ou non, d’une discrimination. La collectivité a le réflexe alors de soutenir son « middle management » et c’est logique, mais ce peut être erroné et cela peut à terme se payer très cher juridiquement et médiatiquement. Voire entraîner des drames. D’où l’importance bien souvent de prendre des mesures provisoires (séparation) très vite ; d’accorder au besoin la protection fonctionnelle à chacun quitte à ce que ce soit provisoire ; de ne pas prendre fait et cause tout de suite – du genre, dans trois semaines on en saura plus -, même si un soutien de principe à la hiérarchie s’impose souvent (il est possible de gérer ces choses avec une neutralité de bon aloi).

A ce stade, une commission administrative (non disciplinaire à ce stade), avec au besoin des extérieurs (psychologues, etc.) peut être l’occasion d’enquêter, d’adapter le fonctionnement du service, de prévoir les actions futures… Et en cas de drame, la collectivité se verra reprocher à la fois de n’avoir rien fait et de ne pas s’être précipitée pour soutenir un agent contre un autre au pénal sans avoir pris le temps de réellement s’informer avec un peu de calme. Ensuite, la collectivité pourra agir dans son organisation définitive de service, son disciplinaire, parfois le pénal… au cas par cas.

Donc, les collectivités sont souvent en aval des conflits ?

Fort heureusement, de moins en moins. Les collectivités commencent aussi à aborder plus frontalement la question, via des démarches intéressantes, des labellisations (label diversité mais aussi label égalité), le traitement de plus en plus sérieux des rapports en ce domaine (obligatoires dès 20 000 habitants) ou des obligations de parité dans les équipes de direction (à compter de 80 000 habitants). Surtout, les collectivités font des efforts dans deux domaines : la formation en matière de discrimination mais aussi de parole apaisée ; la réflexion sur les besoins au stade des recrutements pour ne pas être enfermé dans des stéréotypes.

Prenons un exemple : les fonctionnaires de la police nationale de catégorie C représentent bien la diversité de notre pays en termes de diversité des origines. Or, ce n’est pas du tout le cas pour les polices municipales selon les statistiques : l’on croit sans s’en rendre compte qu’un policier municipal doit être homme, blanc et jeune. C’est erroné et en sus cela n’aide pas à l’acceptation des polices municipales dans nombre de quartiers. Donc c’est discriminant et c’est aussi une faute en termes de politique de prévention de la délinquance !

Considérez-vous que cette problématique va monter en puissance dans les prochaines années ?

Oui car les prises de conscience, l’acceptation de l’autre, évoluent très vite. Mais certains milieux professionnels, certains types d’élus, certains cadres d’emploi, sont encore réticents. Il y a donc sur ce sujet parfois une tension interne qui augmente. Au dirigeant public de mettre de l’information, du liant, de donner du sens, pour accompagner cette transition et éviter des ruptures internes…

Stéphane Menu

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *